"Le vers célèbre
de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand fait référence à
une escrime académique bien précise, celle du duel,
à l'issue souvent mortelle, qui fut longtemps la seule survivance
du combat à l'arme blanche.
De longs balbutiements
Pendant des millénaires, des origines de l'humanité au XIVe
siècle, l'arme n'est que le prolongement du bras du combattant, la
projection de sa force corporelle. Qu'il brandisse la masse, la lance,
l'épée, ou qu'il tende la corde de son arc, c'est dans ses
muscles que l'homme puise la force motrice du coup à asséner.
Alors que le glaive romain (assez court) était déjà
utilisé de façon efficace comme arme de pointe par les
légionnaires, l'épée médiévale (dans la
droite ligne de l'épée gauloise, très longue) va
progressivement s'alourdir pour devenir une arme essentiellement de tranchant
très lourde à manipuler (il faudra même 2 mains pour
tenir l'épée) et dont l'objet est de briser les armures. L'escrime
des chevaliers est une escrime de force dénuée d'adresse. A
l'inverse vilains et bourgeois, non habilités à porter l'armure
utilisent déjà avec dextérité le bâton
: ce sont les premiers escrimeurs " modernes ".
L'apparition de la poudre et des armes à feu rendra obsolète
les lourdes protections corporelles et de fait entraînera la disparition
des épées médiévales. L'épée
s'allège : le centre de gravité est plus proche de la main,
ce qui autorise une meilleure liberté de mouvements. L'épée
devient ornementale, parure. Elle est aussi, avec la dague, l'arme de main
de prédilection.
Naissance de l'escrime : de
la pratique à la théorie
On peut ainsi situer la naissance de l'escrime moderne (l'intelligence
prévalant sur la force) au début du XVe siècle en Espagne
avec l'apparition de la célèbre rapière ou " brette
". La subtilité et la technique vont enfin l'emporter sur la force
et la brutalité. Tolède fournit des armes réputées
pour la finesse de la lame et la qualité de l'acier. Mais ce sont
les Italiens qui vont codifier les premiers principes (position de la main,
..) de l'escrime de " pointe " et produire les premières théories.
En 1533, Achille Marozzo publie un premier ouvrage suivi en 1553 par le Milanais
Camillo Agrippa, architecte, mathématicien et ingénieur, qui
propose, dans un traité demeuré célèbre " trattato
di scienta d'arme " (illustré par
Michel-Ange), une approche
scientifique où il remplace le bouclier par la dague et où
il définit quatre position de main ((prime, seconde, tierce, quarte).
L'école italienne va irradier l'Europe et sera fortement
appréciée à la cour de France. Le premier traité
d'escrime publié en France est celui de Henri de Saint-Didier, gentilhomme
provençal, en 1573, " Traicté contenant les secrets du premier
livre sur l'espée seule ". Il y est fait allusion au " floures " ou
fleuret.
En 1567, les "Maîtres joueurs et escrimeurs d'épée" de
la Ville de Paris reçoivent, par lettres patentes de Charles IX
(lui-même fine lame dont le maître d'arme était Italien
-Pompée- ), l'autorisation de se réunir en communauté
: Académie des Maîtres en faits d'armes de l'Académie
du Roy.
L'escrime réaliste :
le duel
Depuis le Ve siècle et jusqu'au XIIIe siècle, la notion
de duel (" duello " signifie affaire en italien) judiciaire ou ordalie permet
de régler officiellement et légalement les différends
entre nobles. Mais l'issue souvent arbitraire de ces duels et l'hécatombe
qui en découle va amener les Rois de France à interdire ou
à tenter d'interdire le duel. C'est tout d'abord Saint-Louis (1254)
qui supprime le duel en matière de droit civil. Henri IV essaiera
lui aussi. En 1545 , au Concile de Trente, l'église prononce
l'interdiction du duel qui reste toutefois largement pratiqué en France.
L'édit n'a pas été promulgué par le roi et nombre
de gentilshommes sont protestants.
Le dernier duel " officiel ", autorisé par le roi , se déroule
sur le plateau de Saint Germain en Laye, en présence du roi Henri
II et de sa cour, le 10 juillet 1547. Guy Chabot blesse mortellement
François de Vivonne (1520 - 1547), seigneur de La Châtaigneraie,
en portant deux coups de tranchant au jarret de son adversaire qui va
décéder trois jours plus tard (solennellement convaincu de
mensonge et de parjure). Cette action, une " falso manco " enseignée
par le maître italien Caize, était une " botte " (de l'italien
" botta " ) régulière, ce qui fut attesté par le neveu
même de La Chataigneraie, Pierre de Brantôme, dans son ouvrage
" Discours sur les duels ". La finesse du baron de Jarnac l'avait emporté
sur la force brutale du vaniteux La Châtaigneraie. Il est vrai qu'à
l'époque, l'habitude était d'attaquer au visage et au corps.
En France, le duel est une pratique si répandue qu'entre 1588 et 1608,
près de 8 000 gentilshommes meurent en duel, non seulement sur le
pré, mais également des suites de blessures, parfois
légères : septicémie et tétanos sont fréquents
à cette époque d'hygiène très relative. Entre
1608 et 1723 huit édits royaux prétendent interdire le duel.
Même les exécutions de nobles (exécution du comte de
Bouteville en place de Grève, en 1627, commanditée par le cardinal
de Richelieu) qui ont contrevenu à la volonté royale ne sont
guère dissuasives et les duels continueront jusqu'à la fin
du XIXe siècle. En 1837 (15-12) un arrêt de la cour de cassation
déclare que l'homicide et la blessure infligée en duel rentrent
dans le droit commun. Cependant, jusqu'en 1914, les duellistes accusés
d'homicide volontaire seront régulièrement acquittés
par les tribunaux
Après la guerre, l'escrime rentre en salle
pour n'en plus ressortir.
Evolution de la technique
L'apparition d'une arme légère, mouchetée comme
une fleur (" fioretto "), inventée en Italie, fait rentrer l'escrime
dans les salons. Ainsi naît le fleuret au XVIIème siècle
(mention en est faite dans un traité de 1622). Cette nouvelle arme
passionne la cour et les nobles. En 1653, Charles Besnard prescrit une position
ou garde pratiquement similaire à la position de l'escrimeur actuel.
La technique se développe. Les assauts deviennent esthétiques,
mais restent peu engagés car les protagonistes ne sont pas
protégés. A la fin du XVIIIème siècle, peu avant
la Révolution, La Boessière (père) met définitivement
au point le masque en treillis métallique, dont l'emploi entraîne
immédiatement des changements importants dans la technique de l'escrime.
Dans le même temps apparaissent la veste et le gant.
Si le fleuret est une arme de salon, l'épée reste l'arme de
prédilection du duel, où les conventions s'oublient au profit
d'un réalisme souvent immoral.
Durant la révolution, arrêtée un instant dans son essor,
l'escrime redevient florissante à la fin du premier Empire, s'ouvrant
en particulier à l'ensemble de la population. C'est à partir
de 1815 que se révèlent des escrimeurs et des professeurs
remarquables qui vont faire considérablement progresser l'art de l'escrime
: La Boissière fils, le Chevalier de SaintGeorges, Jean-Louis,
Lafaugère
Entre Art et Sport
Au XIXe siècle, le mouvement romantique va puiser ses récits
dans l'histoire et rendre l'escrime très populaire avec la publication
de célèbres romans de cape et d'épée (Alexandre
Dumas, Théophile Gauthier, Paul Féval.). Sous-tendue par ce
retour aux " valeurs morales " une nouvelle école apparaît,
qui met en cause l'esthétique des attitudes et l'harmonie des mouvements.
Elle ne se préoccupe que du "coup touché" et s'élève
contre l'abus des conventions. Cette école d'escrime pratique gagne
sans cesse du terrain.
La notion de compétition apparaît avec le " duel blanc " (avec
un juge et quatre témoins). Elle va aboutir à la définition
des 3 armes actuellement utilisées. L'épée sportive
a acquis droit de cité.
Le fleuret limite, en 1902, ses conventions et serre de plus près
les réalités du combat. Le sabre, arme de pointe, de taille
et de contre-taille, établit ses règles et sa pratique
s'étend en Europe occidentale.
Le duel, qui demeurait, depuis plusieurs siècles, la raison d'être
de l'escrime disparaît, mais ses traditions d'honneur, de courtoisie,
d'élégance, survivent dans l'escrime-sport.
Aujourd'hui, avec 105 médailles dont 36 en or, l'escrime est le sport
olympique français par excellence, qui a apporté le plus de
médailles à la France depuis la création des Jeux modernes
en 1896. La France s'est imposée dans 9 des dix épreuves d'escrime
inscrites au programme olympique (il manque toujours un titre par équipe
au sabre). |